La Créativité pour Hugues
Pour la stimuler, il faut allier à la fois plaisir et efficacité.
Allier l’intuition au bon sens, et ajouter la connaissance.
C’est un ensemble de paramĂštres.
On a besoin de faire, on a besoin d’explications, on a besoin d’une pensĂ©e rationnelle, tout Ă cĂŽtĂ© des Ă©motions, de la beautĂ© du monde et de tout ce qui relĂšve de l’esthĂ©tique.
On a aussi besoin de trouver un Ă©quilibre entre le lĂącher prise, la capacitĂ© de brainstormer de façon libre et joyeuse et d’un autre cĂŽtĂ© la rigueur, la mĂ©thode, le pragmatisme et l’agilitĂ©.
Allier Ă la fois la critique constructive, la rĂ©flexivitĂ©, l’autodĂ©rision et une disposition gĂ©nĂ©reuse.
L’intuition pour Hugues
L’intuition journalistique, c’est avoir une forme de flair, du prĂ©-sentiment, le fait de partir d’une petite chose pour pouvoir aller plus loin.
Ne jamais s’arrĂȘter Ă ce qu’on a vu.
C’est la capacitĂ© Ă avoir les 5 sens en Ă©veil.
Il faut se laisser surprendre.
Se remettre en question et se réinventer.
Les Clés créatives de Hugues
Ne pas trop se prendre au sérieux.
Se remettre en question et de se réinventer.
Faire une mise au vert avec soi ou d’autres personnes.
Réfléchir ensemble : écrire un texte fondateur.
Se poser les bonnes questions.
Réfléchir en intelligence collective.
S’enrichir grĂące aux apports extĂ©rieurs et aussi Ă une mĂ©thodologie cadrĂ©e.
Avoir un facilitateur, un animateur : une personne pointue sur la rĂ©flexion intelligente. Ces personnes nous permettent d’aller au-delĂ de simplement « la bonne idĂ©e ».
Confronter les idées, les valider, ne pas non plus nier les conflits, accepter les désaccords, dans une dynamique participative et dans un cadre serein, bien pensé.
Se tourner vers des personnes qui peuvent apporter des outils spécifiques en fonction de vos besoins individuels.
Ne pas aller Ă©couter toujours les mĂȘmes experts, aller chercher des gens qui pensent un peu Ă cĂŽtĂ©, hors des sentiers battus.
Aller partout oĂč on peut se nourrir d’idĂ©es intĂ©ressantes.
âNous sommes des observateurs privilĂ©giĂ©s de la sociĂ©tĂ©. »
AprĂšs 18 ans de carriĂšre en tant que journaliste au sein du quotidien belge Le Soir, Hugues DorzĂ©e consacre dĂ©sormais son temps en tant que journaliste et rĂ©dacteur en chef pour le magazine alternatif Imagine Demain le monde. Ayant la dĂ©termination de dĂ©busquer les alternatives et les idĂ©es audacieuses et novatrices, le magazine a mis la crĂ©ativitĂ© au cĆur de son projet #Imagine2020 afin de rĂ©affirmer son identitĂ© auprĂšs de ses lecteurs.
« L’imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limitĂ©, alors que l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrĂšs et suscite l’Ă©volution. »
Albert Einstein, théoricien physicien.
Pouvez-vous vous présenter Hugues ?
Hugues DorzĂ©e : J’ai 48 ans, je suis journaliste depuis plus de 25 ans. J’ai une carriĂšre de journaliste en deux temps :
- presse quotidienne : Trois ans comme free lance (LâAvenir, TĂ©lĂ©moustique, Le Soir, la RTBFâŠ) et dix-huit ans au sein du journal belge Le Soir qui est un quotidien gĂ©nĂ©raliste de qualitĂ© dans lequel j’Ă©tais attachĂ© au service politique et sociĂ©tĂ©. Jâavais une sĂ©rie de spĂ©cialisations (immigration, antiracisme, extrĂȘme droite, politique familiale, assuĂ©tudesâŠ) et jâĂ©tais tournĂ© vers le reportage, les enquĂȘtes, les rencontres.
- slow press : depuis 2014, j’assure le poste de rĂ©dacteur en chef du magazine Imagine Demain le monde. C’est un magazine bimestriel belge, alternatif et indĂ©pendant.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le magazine Imagine demain le monde ?
Hugues DorzĂ©e : C’est un magazine qui aura dĂ©jĂ bientĂŽt 25 ans, en septembre 2021, et qui est prĂ©curseur dans son domaine. Depuis 1996, il traite des questions d’Ă©cologie, de sociĂ©tĂ© et de relations Nord-Sud.
C’est un magazine qui s’inscrit dans le courant slow press (c’est-Ă -dire une presse plus lente, qui n’est pas dans l’immĂ©diatetĂ© de l’information, fabriquĂ©e en dehors du marchĂ© mainstream), et qui dĂ©fend un journalisme d’impact.
Il a une approche Ă la fois vivante, prospective et apaisĂ©e. Il porte un regard libre, non conformiste et prospectif sur le monde. Câest aussi un magazine qui traite en permanence des mutations en cours et Ă venir.
Quels types de personnes interviewez-vous et quels types de projets allez-vous chercher ?
Hugues DorzĂ©e : C’est un magazine bimestriel (tous les deux mois). Il permet donc d’avoir un peu de recul sur l’information. Il n’est pas liĂ© Ă une actualitĂ© immĂ©diate : il n’est pas dans la course au temps. Il essaie de ne pas tomber dans une forme de sensationnalisme, de ne pas toucher au cĂŽtĂ© anxiogĂšne ou superficiel de l’information. Il essaie vraiment de prendre le temps d’aller au plus profond des choses.
Donc, comme pour tous types de mĂ©dias, nous sommes amenĂ©s Ă traiter l’information et Ă aller la chercher dans toutes formes de secteurs, avec des relais au niveau de nos informateurs.
C’est trĂšs diversifiĂ© : nous rĂ©alisons toutes sortes de rencontres. L’important est d’ĂȘtre au maximum sur le terrain afin que les journalistes puissent ĂȘtre au contact de la rĂ©alitĂ© sociale : c’est lĂ que bat le cĆur de la sociĂ©tĂ©.
On le voit plus que jamais en cette pĂ©riode de crise mondiale (nous faisons cette interview durant le confinement 2020). Nous sommes en Ă©veil permanent auprĂšs de notre entourage. Parfois, il n’y a pas besoin d’aller Ă l’autre bout du monde pour aller chercher de l’information inspirante : elle est parfois au coin de la rue.
Nous essayons d’ĂȘtre attentifs aux angles morts de la sociĂ©tĂ© : lĂ oĂč il y a des personnes plus invisibilisĂ©es. Nous interrogeons des voix plus minoritaires, quelles qu’elles soient.
Il y a aussi une relation forte entre l’Homme et son environnement : nous sommes aussi Ă l’Ă©coute des « non-humains » qui sont tous les types de milieux naturels (arbres, plantes, animaux…).
Les sources d’inspiration sont vraiment larges et diversifiĂ©es.
Est-ce qu’il y a une rencontre, une interview, un reportage qui vous a marquĂ©e personnellement ?
Hugues DorzĂ©e : Une des grandes chances que l’on a dans ce mĂ©tier, c’est d’ĂȘtre des observateurs privilĂ©giĂ©s de la sociĂ©tĂ©. Nous sommes vraiment au plus prĂšs d’une rĂ©alitĂ© sociale multiple en allant Ă la rencontre de personnes tant anonymes que connues, ou mĂȘme parfois des personnalitĂ©s : des intellectuels, des scientifiques, des gens issus de la sociĂ©tĂ© civile… Le panel est trĂšs large.
Ces derniĂšres semaines, j’ai tout autant Ă©tĂ© marquĂ© par une longue interview avec le philosophe français et trĂšs inspirant Baptiste Morizot qui travaille autour du vivant et notamment sur la cohabitation entre les humains et les non humains (il a longuement travaillĂ© autour du pistage des loups) ; et la semaine suivante, j’Ă©tais pris dans un reportage auprĂšs de personnes sans-abri dans la rĂ©gion liĂ©geoise qui ont dĂ©veloppĂ© un projet de campement autogĂ©rĂ©.Â
Dans ce mĂ©tier, un jour nâest jamais lâautre et on est tout le temps pris et inspirĂ© par des gens diffĂ©rents.
La crĂ©ativitĂ© figure au coeur de la charte fondatrice dâImagine Demain le monde et elle nous anime au quotidien.
Les fondateurs avaient un objectif : dĂ©passer les constats pour comprendre rĂ©ellement la sociĂ©tĂ©. Ăa signifie dĂ©busquer les alternatives, dĂ©senclaver les idĂ©es originales et audacieuses, avoir une vision prospective. Mais aussi essayer d’insuffler modestement de lâenthousiasme. Imagine veut âfuir l’ennui et la banalité« , dit la charte.
Depuis un an, nous avons entrepris une grande rĂ©forme Ă©ditoriale et nous avons beaucoup travaillĂ© autour de la crĂ©ativitĂ©, de l’intelligence collective et du partage d’idĂ©es.
Est-ce que vous diriez que vous apportez de la créativité à vos lecteurs à votre façon ?
Hugues DorzĂ©e : Oui, modestement : on est lĂ pour essayer d’ouvrir les horizons.
Imagine essaie de s’affirmer comme le magazine des mutations en cours et Ă venir. Son titre lui-mĂȘme « Imagine » Ă©voque le fait de libĂ©rer les imaginaires, d’apporter de la perspective, de sortir de l’immĂ©diatetĂ©, de pouvoir se projeter dans le futur.
Il y a donc cette idĂ©e d’un magazine qui essaie d’inspirer, d’apporter de la crĂ©ativitĂ©. Cela se fait au travers de tas d’initiatives : c’est Ă la fois un magazine qui dĂ©nonce, qui critique, qui est du cĂŽtĂ© de la lutte sociale et de la rĂ©sistance, qui questionne vraiment la sociĂ©tĂ© et surtout ses grands enjeux : les grandes responsabilitĂ©s de l’Ă©tat du monde aujourd’hui (productivisme, extractivisme, destruction de la biodiversitĂ©, marchandisation et financiarisation du monde…).
Imagine est aussi du cĂŽtĂ© de la force de proposition, des alternatives en terme de transition Ă©cologique, sociĂ©tale, dĂ©mocratique, culturelle…
On sâefforce dâĂ©quilibrer la balance : offrir aux lecteurs une lecture critique de lâĂ©tat du monde, mais aussi leur permettre de dĂ©couvrir des idĂ©es inspirantes qui les aident Ă se projeter.
Quelle définition donneriez-vous de la créativité ?
Hugues DorzĂ©e : La crĂ©ativitĂ©, il me semble que pour la stimuler, il faut Ă la fois allier le plaisir et l’efficacitĂ©, l’intuition et le bons sens, et ajouter la connaissance. A cĂŽtĂ© des Ă©motions, de la beautĂ© du monde et de tout ce qui relĂšve de l’esthĂ©tique, on a besoin dâune pensĂ©e rationnelle, de connaissances fiables.
Pour stimuler la créativité, on a aussi besoin de trouver un équilibre entre :
- le lùcher prise, la capacité de brainstormer de façon libre et joyeuse,
- et la rigueur, la mĂ©thode, le pragmatisme et l’agilitĂ©.
Nous sommes une petite Ă©quipe – 5 permanents – avec une sĂ©rie de collaborateurs extĂ©rieurs (graphiste, photographes, journalistes, illustrateurs…) et on va chercher de la crĂ©ativitĂ© auprĂšs de toutes ces personnes.
La crĂ©ativitĂ© est un des outils au cĆur de notre projet et notamment du nouveau projet 2020.
Cette mĂ©thode allie Ă la fois la critique constructive, la rĂ©flexivitĂ© (ĂȘtre capable de s’interroger sur nous-mĂȘmes), l’autodĂ©rision (une forme d’humour, de distance) et une disposition gĂ©nĂ©reuse. Une sorte de capacitĂ© Ă ĂȘtre liĂ©s entre nous.
On ne peut pas fabriquer du bon journalisme sans plaisir, enthousiasme et bien-ĂȘtre de la personne.
Nous nous comparons souvent à des artisans professionnels qui aiment le travail bien fait, qui avancent avec humilité, passion et rigueur.
Comment utilisez-vous l’intuition au sein du magazine ?
Hugues DorzĂ©e : On essaie de la voir chacun Ă notre maniĂšre par la richesse et la variĂ©tĂ© de nos personnalitĂ©s : genres diffĂ©rents, gĂ©nĂ©rations diffĂ©rentes, histoires personnelles diffĂ©rentes, centres d’intĂ©rĂȘts diffĂ©rents…
Nous essayons de travailler sur plusieurs axes : l’intuition journalistique (avoir une forme de flair), le prĂ©-sentiment, le fait de partir d’une petite chose pour pouvoir aller plus loin : ne jamais s’arrĂȘter Ă ce qu’on a vu. Nous devons par ailleurs confronter nos sources et les multiplier sur la base dâune Ă©thique et dâune mĂ©thodologie spĂ©cifique.
Mais il y a aussi cette capacitĂ© Ă avoir les 5 sens en Ă©veil qui nous permettent d’ĂȘtre reliĂ©s Ă la vie, de ne pas avoir des ĆillĂšres, de ne pas Ă ĂȘtre enfermĂ©s dans des apriori et des idĂ©ologies enfermantes.
Il faut aussi pouvoir, je crois, renouer avec sa part d’enfance, tout simplement. Ne dit-on pas « La vĂ©ritĂ© sort de la bouche des enfantsâ. TrĂšs souvent, ils ont beaucoup de bon sens et d’intuition. Ils ne se prennent pas trop au sĂ©rieux. Or, pendant la crise du Covid, on a peu Ă©coutĂ© ce quâils avaient Ă nous dire.
Cette mĂȘme pandĂ©mie nous rappelle aussi que nous sommes trĂšs petits. Nous sommes une espĂšce parmi les 8 millions d’espĂšces connues et recensĂ©es. Tout cela nous amĂšne Ă rĂ©flĂ©chir Ă nos modes de vie, Ă Â nos comportements, nos certitudes, nos croyances, notre maniĂšre dâhabiter la Terre.
C’est important de rester ouvert pour pouvoir dĂ©velopper l’intuition ?
Hugues DorzĂ©e : Oui, tout Ă fait. Dans notre mĂ©tier, c’est ce qui en fait la richesse. Il faut se laisser surprendre. En reportage, derriĂšre chaque rencontre, il y a tant Ă apprendre. C’est Ă chaque fois une redĂ©couverte et un plaisir. Et mĂȘme quand on a l’impression – notamment dans le journalisme – de maĂźtriser un sujet, c’est important Ă chaque fois de se remettre en question et de se rĂ©inventer.
Utilisez-vous personnellement ou au sein du magazine des outils pour rester créatif et intuitif ?
Hugues DorzĂ©e : Ces derniers mois, nous avons eu l’occasion d’en utiliser quelques-uns. Il y a un peu plus d’un an, nous avons entamĂ© une grande rĂ©forme Ă©ditoriale au sein du magazine Ă la fois sur la forme et sur le fond pour se rĂ©-inventer.
Nous avons entrepris une rĂ©forme de maniĂšre originale en mettant en place le processus Imagine 2020 : c’est un processus participatif, collectif et dynamique qui a dĂ©bouchĂ© le 5 juin sur la crĂ©ation dâun nouveau magazine (format, pagination, maquetteâŠ) et dâun nouveau site sloweb conçu de maniĂšre Ă©coresponsable.
A travers ce processus, nous voulions rĂ©flĂ©chir de maniĂšre originale, out of the box, comme on dit parfois, sans rester enfermĂ©s dans notre tour dâivoire.
- Nous avons commencĂ© par une mise au vert avec l’Ă©quipe. On a rĂ©flĂ©chi ensemble, et on a Ă©crit le manifeste Imagine. C’est un texte fondateur qui sera encartĂ© dans ce numĂ©ro spĂ©cial, dans lequel on rĂ©affirmera le contrat qu’on a envie de passer avec les lecteurs.
- On a aussi envoyĂ© un questionnaire Ă nos lecteurs qui leur a permis de s’exprimer.
- On a organisĂ© une soirĂ©e d’intelligence collective.
- On a crĂ©Ă© un outil tout Ă fait original – un comitĂ© d’accompagnement : Les Pisteurs d’Imagine. C’est une quinzaine de personnalitĂ©s issues de la sociĂ©tĂ© civile Belge, prĂ©sidĂ©e par Olivier De Schutter (professeur Ă lâUCLouvain) et Fatima Zibouh (politologue). Ils seront Ă nos cĂŽtĂ©s pour l’annĂ©e 2020 pour ce nouveau processus.
La crĂ©ativitĂ© est vraiment au cĆur de notre projet. On s’est adjoints les services de l’association de facilitation Collectiv-a, basĂ©e Ă Bruxelles. Ăa nous a aidĂ©s Ă travailler et Ă faire Ă©merger des idĂ©es avec des tas d’outils de crĂ©ativitĂ©. Par exemple :
- le World CafĂ© (outil pour faire Ă©merger des idĂ©es autour d’une table),
- la technique du bocal Ă poissons (outil permettant de placer tous les participants au mĂȘme niveau, quel que soit leur niveau d’expertise),
- la techniques de photolangage (outil consistant Ă utiliser des photos pour faciliter la prise de parole),
- la technique de sociocratie (l’organisme est considĂ©rĂ© comme un organisme vivant, ça lui permet de s’auto-organiser).
A travers ces techniques d’animation, de gouvernance et d’Ă©mergence d’idĂ©es, nous avons engagĂ© une grande rĂ©flexion sur le magazine : qu’est-ce qu’on y met et comment on va le transformer ?
Donc tout ça vous a permis de donner un coup de fraßcheur, un coup de nouveau à votre magazine ?
Hugues DorzĂ©e : Oui, tout Ă fait. On s’enrichit grĂące aux apports extĂ©rieurs et aussi Ă une mĂ©thodologie. Elle ne s’improvise pas. Il faut qu’elle soit encadrĂ©e.
Pour cela, on a besoin de facilitateurs, d’animateurs, de personnes pointues sur ces sujets-lĂ . Elles nous permettent d’aller au-delĂ de simplement avoir « la bonne idĂ©e ». Elles nous amĂšnent Ă la fois Ă confronter les idĂ©es, Ă les valider, Ă ne pas non plus nier les conflits, accepter les dĂ©saccords, dans une dynamique participative et dans un cadre serein, bien pensĂ©.
Sur le plan personnel et professionnel, c’est vraiment une grande richesse. On ressort de ce processus enrichi !
Si vous deviez prendre un coach en crĂ©ativitĂ©, quâattendriez-vous de cette personne ?
Hugues DorzĂ©e : En parallĂšle, je suis engagĂ© dans une formation de longue durĂ©e avec une sĂ©rie d’autres responsables de petites organisations qui gravitent autour de l’environnement et du social. Notre formatrice, Vanessa Bolt, nous aide Ă travailler prĂ©cisĂ©ment sur la question de la gouvernance, du leadership et de l’Ă©mergence d’idĂ©es.
Ăa nous permet de nous repositionner, d’avoir aussi un Ă©change de bonnes pratiques et d’ĂȘtre « au vert ». C’est trĂšs riche.
GĂ©rer et participer au dĂ©veloppement d’un magazine, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. Il y a un rĂ©ajustement permanent, des hauts et des bas, des moments de rĂ©jouissance et des dĂ©ceptions. C’est autant un projet Ă©conomique qu’un lieu de dĂ©bats, d’idĂ©es et de connaissances.
On a grandement besoin d’accompagnateurs. Chez ces professionnels, il y a en revanche de tout : des personnes trĂšs formĂ©es, compĂ©tentes, avec des outils de grandes qualitĂ©s et d’autres qui s’improvisent un peu trop rapidement « coach en tout« .
Il faut savoir faire le tri et se tourner vers des personnes qui peuvent apporter des outils spécifiques en fonction de vos besoins individuels.
En Ă©tant au contact de personnes extĂ©rieures et neutres, ça permet aussi d’avoir un Ćil nouveau sur vos problĂ©matiques ?
Hugues DorzĂ©e : Oui, tout Ă fait ! Dans ce mĂ©tier particuliĂšrement, l’attention, la vigilance et la capacitĂ© Ă ĂȘtre en Ă©veil permanent sont de rigueur. Il ne faut pas hĂ©siter Ă aller partout oĂč on peut se nourrir d’idĂ©es intĂ©ressantes.
Il y a une Ă©mergence et une Ă©mulation de nouveaux mĂ©dias, d’une presse indĂ©pendante, alternative : elle naĂźt partout et c’est trĂšs riche. C’est nĂ©cessaire car nous sommes, je pense, allĂ©s trop loin dans la presse ordinaire : elle est lissĂ©e, mainstream, avec un culte vouĂ© Ă l’immĂ©diatetĂ©, Ă lâhyper-connexion, au buzz et Ă l’information « cash ».
Je crois qu’on doit continuer Ă ĂȘtre nous-mĂȘmes dans la rĂ©flexivitĂ© par rapport Ă notre mĂ©tier : ĂȘtre capable de le rĂ©interroger tout le temps, ĂȘtre critique, mais aussi de le rĂ©inventer. Le journalisme a Ă©tĂ© un milieu relativement conservateur dans ses pratiques. Et, aujourd’hui, on voit des choses relativement intĂ©ressantes – que ce soit sur papier ou en ligne – et sous plusieurs formes – que ce soit Ă©crit, audiovisuel ou sonore (via des podcasts, du data-journalisme, des rĂ©cits graphiques…).
Tout cela est trÚs réjouissant !
Vous diriez que la crĂ©ativitĂ©, c’est aller chercher dans ce qu’on connait, mais aussi aller voir ailleurs, dans ce qu’on ne connait pas ?
Hugues DorzĂ©e : Oui, c’est ça. Et nous sommes trĂšs attachĂ©s à ça. Par exemple, dans un des World CafĂ©s, nous avons traitĂ© la question suivante : « Comment Imagine pourrait ĂȘtre encore plus prospectif qu’il ne l’est aujourd’hui ? »
Ce qui nous intĂ©resse, ce n’est pas ĂȘtre dans le constat Ă©culĂ© facile, le « dĂ©jĂ vu ». Mais plutĂŽt d’anticiper des phĂ©nomĂšnes de sociĂ©tĂ©, d’aller chercher des personnalitĂ©s Ă©mergentes, de mettre le doigt sur des phĂ©nomĂšnes nouveaux, en devenir. Parce que, plus que jamais, nous sommes dans une crise profonde de nos Ă©cosystĂšmes et de nos modĂšles Ă©conomiques.
Et on sait bien qu’on va droit dans le mur si on ne change pas de cap, de paradigme. Ăa nous forme Ă ĂȘtre dans un journalisme d’anticipation. Le risque, bien Ă©videmment, est de tomber dans une forme de futurologie. C’est donc trĂšs stimulant de ne pas aller Ă©couter toujours les mĂȘmes experts, aller chercher des gens qui pensent un peu Ă cĂŽtĂ©, dans une forme de pensĂ©e « hors des sentiers battus ».
C’est vers ça qu’il faut aller pour continuer Ă nourrir les lecteurs de donnĂ©es intĂ©ressantes.
Aujourd’hui, on le voit autour de la crise : elle est mĂ©ta, elle est systĂ©mique. Elle touche Ă la fois Ă notre maniĂšre de penser le monde, Ă notre Ă©conomie, Ă notre maniĂšre de respecter la planĂšte, Ă notre maniĂšre de vivre ensemble (physiquement ou non) et bien d’autres paramĂštres.
C’est une catastrophe mondiale, mĂȘme s’il faut la relativiser par rapport Ă ce qu’il s’est dĂ©jĂ passĂ© dans l’histoire et ce qu’il se passe dans le monde actuellement en terme de mortalitĂ©. Mais, c’est aussi une opportunitĂ© ! C’est peut-ĂȘtre l’opportunitĂ© de rĂ©inventer nos systĂšmes… Et donc, lĂ aussi, on aura grandement besoin de personnes et de mĂ©dias qui ouvrent un peu le champs et les perspectives.
Vous parliez de changer nos perspectives, partagez-vous des outils concrets ?
Hugues DorzĂ©e : Ce n’est pas rĂ©ellement des outils. A travers nos reportages, nos analyses, nos dossiers, nos portraits, nous relayons toute une sĂ©rie d’initiatives.
Par exemple, nous avons rĂ©cemment traitĂ© les limites (et le dĂ©sastre annoncĂ©) de la 5G en terme de santĂ© publique, de production de nouveaux supports numĂ©riques, sur ce besoin que l’on a d’ĂȘtre hyper-connectĂ©s toujours plus vite, toujours plus fort…
Alors, ce ne sont pas des outils, mais des connaissances que nous mettons Ă la disposition de nos lecteurs. Comme dans le cahier que nous avons rĂ©alisĂ© autour de la crise sanitaire (Covid-19 : changer dâĂšre) : le but est de rĂ©flĂ©chir autrement.Â
Aujourd’hui, que nous dit la crise de l’Ă©tat du monde Ă la fois en terme de violence sociale et Ă propos du dĂ©sastre Ă©conomique en cours ? Il y a aussi la question de la mondialisation, de l’Ă©tat de nos Ă©cosystĂšmes, de la rĂ©silience de nos systĂšmes de santĂ© et de services publiques.
C’est la remise en question dans tous les sens.
Avez-vous 3 livres qui vous inspirent ?
Hugues DorzĂ©e : Je suis passionnĂ© de lecture et de littĂ©rature anglo-saxonne (Jim Harisson, Russell Banks…) en particulier. Les Ă©crivains ne sont pas seulement inspirants, mais ils nous confrontent au rĂ©el et nous bousculent.
- L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza : c’est une magnifique fresque de lâItalie contemporaine, qui nous parle Ă la fois de l’histoire politique, du fĂ©minisme, de la sociĂ©tĂ©…
- PlutĂŽt couler en beautĂ© que flotter sans grĂące, de Corinne Morel Darleux. Un magnifique petit essai autour de lâeffondrement, des anti-hĂ©ros, de notre capacitĂ© Ă vivre de maniĂšre poĂ©tico-politique.
- Sur la piste animale, de Baptiste Morizot (j’en ai parlĂ© plus tĂŽt dans l’interview).
Il y a aussi tous les travaux de Pablo Servigne – qui est par ailleurs un fidĂšle compagnon de route et chroniqueur d’Imagine.
Mais aussi les livres de Nancy Huston, Vinciane Despret, Romain GarryâŠ
Des livres inspirants, on n’en manque pas !
Quelle est la personne qui vous inspire le plus ?
Hugues DorzĂ©e : Je n’ai pas une personne en particulier, mais je dirais ma propre cellule familiale. Ma compagne et mes deux filles (19 et 15 ans) qui m’animent, m’Ă©clairent, m’influencent et m’aident Ă grandir.
Est-ce que vous avez une citation favorite ?
Hugues DorzĂ©e : Je n’ai pas vraiment de citation favorite. Mais j’ai repensĂ© Ă une phrase d’Albert Einstein qu’on a rĂ©cemment relayĂ©e dans une newsletter : « L’imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limitĂ©, alors que l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrĂšs et suscite l’Ă©volution.«Â
Pour un scientifique et un chercheur de son envergure, ça bouscule les certitudes qu’on a ! On a besoin de connaissances scientifiques, mais on a aussi besoin d’imagination.
Si je vous donne les 4 premiÚres lettres de créativité, C-R-E-A, quel mot avez-vous envie de mettre instantanément pour chacune des lettres ?
Hugues Dorzée :
- C – Calme – car pour crĂ©er, il faut de la tranquillitĂ©.
- R – RĂ©jouissance – parce que je pense que, sans joie, on ne peut pas crĂ©er : on a besoin de « passion joyeuse », c’est indispensable.
- E – Engouement ou Enthousiasme.
- A – Apprendre – avant de crĂ©er, il faut acquĂ©rir des connaissances, du savoir par notre intelligence ou nos rencontres, par exemple. On a besoin d’apprendre avant de crĂ©er.
2 replies to "Interview Créative avec Hugues Dorzée, rédacteur en chef de Imagine Magazine"
Bonjour Aurélie,
Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion de lire ce magazine mais ça m’a donnĂ© envie. Le trouve-t-on en France ?
Je suis sensible Ă cette approche, la recherche de mĂ©dia indĂ©pendants et de nouveaux regards sur le monde (pas les experts qu’on entend partout). Cela participe, Ă mon sens, Ă une certaine forme de rĂ©-humanisation.
A bientĂŽt
Hello Marie-Ange,
Ravie d’avoir un peu de tes nouvelles đ
Tu peux le commander directement sur le site il me semble.
Je suis d’accord avec toi que cette approche de mĂ©dias indĂ©pendants permet d’avoir un nouveau regard sur le monde, et surtout neutre de tout bord politique.
Merci pour ton partage sur le sujet, c’est toujours un plaisir de te lire ! đ